L'économie sociale et solidaire: égalitaire?

En prônant une autre vision de l’économie, les structures sociales et solidaires tendent vers un monde professionnel plus égalitaire, à la condition de prendre le problème à bras le corps.

Inégalité salariale, soupçon de grossesse, plafond* ou encore parois* de verre, le monde professionnel est souvent dur pour les femmes et reste empreint d’inégalité. En promettant de mettre l’humain au centre et ainsi d’accorder d’autres conditions de travail, l’économie sociale et solidaire (ESS) promeut une autre vision de l’économie dans laquelle les femmes auraient une place égale. Une place de choix, d’ailleurs, car selon l’étude statistique mandatée par la chambre d’économie sociale et solidaire de Genève en 2015, elles constituent 56% du personnel, contre 42% dans les autres secteurs. Plus encore, 48% d’entre elles occupent des postes de direction, contre 28% dans l’économie classique. Des chiffres qui réjouissent. Mais l’économie sociale et solidaire est-elle vraiment vecteur d’égalité ou n’est-elle pas simplement exemplaire du monde actuel et des freins que subissent encore les femmes ?

L’ESS est née il y a 10 ans de la fusion de l’économie sociale et l’économie solidaire. Ensemble, elles créent ainsi un nouveau type de structure aux valeurs sociales, environnementales, mais surtout humaines. Leur objectif : mettre l’économie au service d’une communauté afin d’améliorer sa qualité de vie. Créée en 2003, la chambre de l’économie sociale et solidaire genevoise, APRES-GE, met en relation différents acteurs du réseau et promeut ce nouveau type de pensée. La chambre promeut ainsi le bien-être social, la participation, l’écologie ou encore la diversité, comme on peut le lire sur son site internet. Des valeurs qui peuvent effectivement amener à plus d’égalité, comme le confirme Lara Barancini, Responsable pôle développement et promotion de l’ESS. « L’égalité est incluse dans notre charte et dans les valeurs que nous promouvons, explique-t-elle. Ainsi les structures de la chambre se sont engagées à y travailler activement. »

Pour la responsable, cette sensibilité se traduit par un plus grand nombre de femmes dans les structures, occupant notamment des postes de direction. Un constat que partage Carole Z’graggen Linser, co-directrice de l’entreprise Ecoservice, membre de la chambre. « Nous (mes associés et moi) avons toujours dirigé l’entreprise en étant fidèles aux valeurs auxquelles nous croyons : respect, équité, communication, entraide et équilibre vie privée/vie professionnelle, confie-t-elle. Au quotidien, c’est surtout travailler dans un environnement respectueux, qui fait sens, qui respecte les valeurs qui sont importantes dans la vie courante. Il y a de l’écoute et de la solidarité, pour donner le coup de pouce de réussite et pour supporter les périodes plus difficiles. » L’entreprise a également mis en place un congé paternité de 3 jours (au lieu de 1) et utilise les outils du bureau fédéral de l’égalité en matière d’égalité salariale. Une sensibilité qui se retrouve ici également sur les chantiers de l’entreprise. « Mes collègues féminines sur les chantiers ont des remarques plutôt positives sur les chantiers, se réjouit-elle. Elles sont écoutées plus attentivement et leur présence permet à des situations conflictuelles de ne pas s’aggraver. »

Un retour des parois de verre ?

Un tableau idyllique que nuancent les chercheuses Isabelle Guérin, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement et rattachée au Cessma (Centre d’études en sciences sociales sur les mondes américains africains et asiatiques) et Audrey Chalumeau, doctorante au Cessma. « L’économie sociale et solidaire a pour but de mettre l’économie au service du lien social et de la justice, donc en théorie elle serait favorable à l’égalité. Il est frappant toutefois de constater à quel point la question de l’égalité entre sexes reste un impensé de l’ESS, aussi bien chez les praticienNEs de l’ESS, ses défenseurSEs ou encore les chercheurEs qui s’y intéressent, expliquent-t-elles. Il y a bien sûr des exceptions, mais globalement l’ESS se pose très peu la question de l’égalité entre les sexes. » Si Sophie Lochet, coordinatrice de l’association Stop Suicide, membre d’APRES-GE, ne pense pas que les questions d’égalité soient oubliées, elle constate toutefois qu’il ne suffit pas d’être une structure ESS pour être égalitaire. «Effectivement les structures ESS sont généralement plus ouvertes, peut-être plus sensibles à la question, déclare-t-elle. Mais cela n’empêche pas les rapports de domination d’exister. Les employeurSEs de l’ESS sont souvent tiraillés entre l’envie de donner des bonnes conditions de travail et les impératifs financiers, la peur de mettre en danger la structure. »

En plus des mesures réellement mises en place et des conditions de travail, on peut également se demander si la présence massive de femmes dans l’ESS n’est pas simplement une conséquence des parois de verre. Faux, selon Lara Barancini. « l’ESS compte, certes, un certain nombre de structures dans le milieu du care*, avoue-t-elle. Mais il ne faut pas la réduire à cela. Des entreprises comme La Banque alternative Suisse ou encore Ecoservice en font également partie et comptent également des femmes à des postes hauts placés. » Sophie Lochet en est consciente : son engagement est le résultat de plusieurs facteurs. « Lors de mon engagement, je pense que j’étais compétente et extrêmement motivée., raconte-t-elle. Je sais également que j’étais face à des personnes aux sensibilités féministes et que statistiquement, les candidatures étaient majoritairement féminines. C’est l’addition de tous ces facteurs qui ont entraîné mon engagement, pas une volonté de favoriser les candidatures féminines. » Une nuance que valident les chercheuses. Il faut en effet prendre en considération que dans les milieux du social et de la santé, qui propose qui plus est des temps partiels, les femmes sont majoritaires.

Publié le 26.10.2016 par VALERIE VUILLE pour le web-journal DécadréE

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