Du Slow Food au Slow Work

"Pourquoi ne pas initier un mouvement citoyen slow work qui populariserait toutes les tentatives de résistance au modèle de travail basé sur la rapidité et le rendement qui nous oblige à produire mal des produits éphémères?" M. Du Pasquier

Travailler, c’est produire et celui qui travaille aime naturellement que le produit qu’il réalise soit bien fait, fonctionne sans difficulté et longtemps, et soit utile à ceux qui vont le consommer. Si ces conditions sont remplies, le travailleur sera fier de lui et fier d’apporter sa contribution au bien-être de la société dans laquelle il vit. Les autres pourront voir et apprécier ce qu’il a fait. Ils pourront lui en être reconnaissants.

Envisagé ainsi, l’acte purement matériel de travailler se double d’une dimension sociale : je travaille pour moi, pour subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille, mais je travaille aussi pour les autres et c’est le regard qu’ils portent sur mon travail qui me situe dans le cadre social. Il suffit de se mettre dans la peau de celui qui n’a pas de travail pour vérifier ce que je viens d’écrire : je me sens inutile, déprécié, déconsidéré.

Donc, ce à quoi chacun aspire est un travail décent, utile, valorisant, dans lequel il puisse « se réaliser » et qui lui attire la considération des autres. Cependant, tout le monde sait que la réalité est bien différente. Les conditions d’emploi et de travail sont déficientes et les relations sociales ne vont guère mieux. Pourquoi ?

Disons pour résumer que l’on accorde aujourd’hui plus d’importance au produit qu’à celui qui l’a réalisé ou qu’à celui qui le consommera. Introduite depuis plus de deux siècles par le capitalisme industriel, cette coupure entre produit et producteur découle de la nécessité pour l’entreprise de réaliser en fin de compte un profit qui lui permette de continuer à exister, de poursuivre sa production. Seul le produit, par son prix de vente, est susceptible d’apporter le profit nécessaire. Quant au producteur, celui qui a effectué le travail, il est considéré comme un facteur de production, au même titre qu’une machine.

Est-il besoin d’ajouter que cette coupure s’est approfondie dramatiquement au cours des 30 dernières années, favorisée par la concurrence mondialisée. Pour obtenir des produits toujours meilleur marché, les postes de travail sont détruits, la productivité augmente, les salaires sont mis sous pression. En résumé, la sauvegarde (ou l’accroissement) du profit s’accompagne d’une péjoration des conditions de travail et des relations sociales à l’intérieur de l’entreprise. C’est ce que nous pouvons observer tout autour de nous.

Existe-t-il une fatalité pour que le travail soit un lieu de peine, d’exploitation, de mal-être ? Non, aucunement. Le travail, la manière dont il s’organise et se déroule, est toujours lié à une construction sociale. Il découle d’attentes contradictoires, celles de l’employeur et celles du salarié, qui se résolvent soit de façon violente (la fermeture d’entreprise, la grève) soit par un compromis jugé acceptable de part et d’autre (la convention collective de travail).Le travail peut briser, abrutir, abaisser, mais il peut tout aussi bien satisfaire, enrichir, rendre digne. Tout dépend de ce que les acteurs sociaux en présence décideront.

En 1989 dans divers pays du monde s’est créé un mouvement citoyen de résistance au fast food et à tout ce qui l’accompagne : modes de culture rapide (engrais, pesticides, OGM), production industrielle de masse, distribution dans les grandes surfaces, habitudes de consommation insoutenables pour l’environnement. Intitulé slow food, ce mouvement revendique la conservation du goût pour les bons produits cultivés écologiquement dans des conditions sociales équitables, distribués localement et consommés frais.

Pourquoi, par analogie, ne pas initier un mouvement citoyen slow work qui populariserait toutes les tentatives de résistance au modèle de travail basé sur la rapidité et le rendement qui nous oblige à produire mal des produits éphémères, à dégradation rapide et à utilité sociale douteuse. Cela paraît d’autant plus réalisable qu’on assiste depuis quelques années à l’affirmation d’une pratique très voisine en tous points, celle de l’économie sociale et solidaire. Voilà un type d’activité qui revendique la primauté de la personne humaine sur l’argent, qui renonce au profit, qui veut produire « utile » tout en créant du lien social, qui porte attention à la qualité des relations sociales dans le travail. Chez nous ainsi que dans les pays voisins, ce type d’activité éco-sociale représente environ 10% de tous les emplois existants.

Soyons utopiques, ce qui est la seule manière de rester réalistes dans le monde marchandisé tel qu’il est aujourd’hui, et engageons-nous pour que le slow work fasse tache d’huile. Y gagneraient, on peut en être certain, le respect du travail et des personnes qui l’effectuent, l’équité dans la distribution des richesses (et donc dans les relations nord-sud), la soutenabilité de notre rapport avec l’environnement naturel.

Jean-Noël du Pasquier, 1er octobre 2010

 

A propos

Date de parution:
ven, 01.10.2010 - 06:00
Source: 
Le Bâteau Genève
Thématiques: 
Cohérence/Déontologie/codes de conduite
Développement durable
ESS
Santé au travail

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