Commentaires sur les 3e Rencontres du Mont-Blanc

Commentaires sur les 3e Rencontres du Mont-Blanc de Kian Rieben (membre d'APRÈS-GE)

Les Rencontres du Mont-Blanc (RMB), le sommet des dirigeants de l’économie sociale et solidaire (ESS), se sont déroulées du 9 au 10 novembre 2007 à Chamonix (France) pour la partie officielle. Cette rencontre était la 3e du genre et avait pour thématique les énergies renouvelables et pour titre : « Consommer, produire et distribuer durablement les énergies : Les réponses de l’économie sociale. ». Elle a réunit environ 150 participants tous actifs au sein d’organismes aux statuts variés : coopérative, association, fondation, ONG. Il faut aussi noter la présence de quelques représentants des grandes organisations internationales : PNUD, CNUCED, Programme pour l’efficacité énergétique 21 des Nations Unies, Alliance Coopérative Internationale, Fonds Mondial pour l’Environnement. Le programme assez chargé oscillait entre réunions plénières, ateliers par groupe (3 groupes avec environ 50 participants chacun) et moments de pause et de restauration permettant des contacts individuels. Le 11 novembre, une journée libre était prévue permettant à ceux qui le désiraient de faire un peu de tourisme tout en prolongeant les discussions.

L’état d’esprit général, clairement affiché, était d’axer les échanges vers l’action, c’est-à-dire vers le lancement de projets concrets et débouchant rapidement, voir immédiatement, sur des financements. J’ai trouvé cette dynamique assez prometteuse et surtout effective. Les partenariats et l’esprit entreprenant n’étaient pas de simples intentions, bien qu’ils aient pu faire l’objet d’une certaine mise en scène. J’ai pu constater des échanges intenses et le lancement d’environ 25 projets tous assez concrets, ainsi que la signature de financements pour environ 200'000 € répartis sur 3 projets particulièrement avancés. Ce constat m’amène à conclure qu’il y a une véritable dynamique portée par les volontés d’acteurs engagés et véritablement entreprenants. Pour éclairer cette dynamique, il me paraît intéressant de parler des acteurs présents et des enjeux dont ils s’estiment porteurs.

Les fondateurs des RMB sont les dirigeants des grandes coopératives françaises : MAIF, MACIF, Crédit Coopératif, Groupe Chèque Déjeuner… La définition qu’ils proposent de l’ESS est très large, comme c’est l’usage. Toutefois, de part leur nature et leur préoccupations, je dirais qu’ils s’agit essentiellement d’acteurs fondant leur particularité sur la nature coopérative de leurs statuts. Mais leur démarche tend à élargir le réseau. C’est-à-dire à inclure des acteurs ayant d’autres statuts ainsi qu’à diversifier les aires géographiques représentées. On est clairement dans un mouvement qui part de la France, Paris évidemment, et qui se montre très intéressés aux coopérations internationales. C’est d’ailleurs l’objectif majeur et transversal de toutes les RMB : mettre en réseau à l’internationale les acteurs de l’ESS. Cet objectif global est sensé permettre d’atteindre plusieurs objectifs. La mise en réseau permet de rompre l’isolation de chacun et opère une prise de conscience générale que d’autres sont engagés dans la même démarche. Ils espèrent ainsi pouvoir partager les expériences, échecs et réussites, partager les bonnes pratiques bien entendu, mais également, et c’est à mon avis plus ambitieux et plus original, constituer ce que j’appellerais une nébuleuse. J’entends par nébuleuse, un agglomérat constitué d’entités hétérogènes et indépendantes, mais néanmoins suffisamment unies pour être perçue de l’extérieur comme un tout cohérent. Les enjeux principaux de cette constitution sont premièrement de permettre le dialogue avec les grands acteurs nationaux et internationaux et deuxièmement de permettre la mesure et l’analyse de l’ampleur de l’ESS. En d’autres mots, l’objectif est d’ériger l’ESS au rang d’alternative effective, pertinente et rationnelle à l’économie de marché.
La présence de représentants des grandes organisations est à ce titre encourageante. En aparté, Thierry Jeantet (Directeur des RMB) a partagé son enthousiasme aux propos que l’un de ces représentants lui a tenu hors réunion. Ce dernier souhaitait que cette constitution d’une représentation internationale se fasse pour lui permettre de les avoir comme partenaires à la table des négociations plutôt que de devoir se limiter aux acteurs de l’économie de marché qui tentent aussi de se profiler dans ce qui est pour eux une niche économique.

Un projet déjà relativement avancé qui s’inscrit dans cette démarche est la création d’un Observatoire Internationale des Réalisations de l’Economie Sociale (OIRES). Les premiers financements ont été débloqués pour pouvoir mettre en place le réseau. Cet observatoire va être réalisé sous l’égide de la Fondation pour la Maison des Sciences de l’Homme à Paris. Cette fondation a pour mission, depuis les années soixante, de promouvoir la recherche en réseau sur les thématiques émergentes. Cet observatoire aura pour mission d’étudier avec un regard critique les réalisations concrètes des acteurs de l’ESS. Comme j’ai eu l’occasion d’en discuter avec Alain d’Iribarne (directeur de la fondation), la dimension critique et la focalisation sur les actions concrètes sont deux aspects essentiels. Comme il l’a été relevé par beaucoup d’autres participants, le créneau de l’ESS n’est pas ignoré par les acteurs de l’économie de marché. Ces derniers, les plus grands groupes en tête, communiquent et développent des outils et des stratégies dans ce sens. Les acteurs de l’ESS sont donc en concurrence avec les grandes multinationales pour occuper la place d’« acteur responsable ». Ces dernières ayant une grande puissance de communication, l’enjeu pour l’ESS est, de l’avis de certains, de ne surtout pas entrer dans ce jeu mais de répondre à des campagnes de communication par des faits. Pour cela, il est primordial que les acteurs de l’ESS soient très ouverts aux critiques que des expertises non militantes, notamment par l’OIRES, pourraient leur apporter.

Je relèverai encore deux projets dont il a été question. Le SOL, une monnaie d’échange de l’économie solidaire a été lancée, avec un système de carte pour accumuler et utiliser les devises. Par ailleurs, un incubateur d’entreprises est aussi en développement. Il pourrait d’ailleurs y avoir des interactions entre l’incubateur et OIRES.

Sur la thématique spécifique de ces 3ème rencontres, je résumerais en trois axes les points sur lesquels les acteurs se sont interrogés. Le premier est celui des différentes solutions techniques dont nous disposons aujourd’hui. C’est surtout les exposés d’experts qui ont abordés cet aspect. Je m’y suis moins intéressé, n’étant pas compétant sur ces questions. Je relèverais simplement un mini débat assez intéressant qui a animé l’une des séances plénières et qui témoigne de la vigilance des acteurs présents. L’usage du terme biocarburant a été contesté et celui d’agrocarburant proposé pour le remplacer. Les défenseurs de ce choix linguistique voulaient ainsi souligner que la solution du biocarburant nécessiterait pour être appliquée globalement des monocultures qui entreraient en concurrence avec la production alimentaire et poseraient les problèmes propres à toutes monoculture à grande échelle. A ce titre, le préfixe bio ne pouvait convenir, pouvant faire penser à la culture labellisée biologique dont les critères ne sont pas respectés pour la culture des plantes destinées à la production de carburants.

Le deuxième axe est celui des constructions juridico-financières qui permettent un contrôle, par les acteurs directement concernés, sur les projets de développement de structures de production énergétique. L’enjeu s’inscrit précisément dans la concurrence que j’ai déjà évoquée plus haut entre ESS et économie de marché. Pour prendre un exemple, le développement d’un parc d’éolienne est dans l’absolu une solution écologiquement intéressante. Mais dans sa réalisation concrète, hormis le fait qu’elle peut être techniquement discutée, en soi, elle ne garanti en rien que les autres critères de l’ESS ne soient respectés. L’expropriation des terres pour l’implantation d’un grand nombre d’éolienne dont les profits seront pour l’essentiels redistribués aux actionnaires des grands groupes énergétiques pose de multiples problèmes et ne peut être considérée comme une démarche sociale et solidaire. Cela montre bien que l’écologie n’est pas une exclusivité de l’ESS et que l’ESS ne se réduit pas à l’écologie. Sur ces questions, des exemples très détaillés ont été présentés comme exemples de négociations, de contrats et de financements qui permettent d’aboutir à une situation plus acceptable. Dans l’exemple du parc d’éolienne, une société a été créée par les propriétaires terriens leur permettant par son intermédiaire de contrôler la réalisation du projet, ainsi que la redistribution des gains.

Le dernier axe est celui de l’évaluation de l’impact écologique des acteurs de l’ESS. Plusieurs outils ont été décrits ou simplement signalé permettant d’évaluer les coûts énergétiques d’une activité. Les exemples les plus cités étaient ceux des réunions telles que les RMB ainsi que des bâtiments qui abritent les activités de l’ESS. Cet enjeu était jugé essentiel car il permettrait aux acteurs de l’ESS de montrer l’exemple. Ces réunions, jugées indispensables, ne peuvent être abandonnées. En revanche, les participants se sont montrés très ouvert à l’idée d’une compensation écologique des dépenses énergétiques générées par ces rencontres.

Un autre fait marquant de ces rencontres est le constat de l’absence d’acteurs suisses. A part ma présence, très en marge de surcroît, il n’y avait aucun représentant d’un organisme suisse. J’ai eu l’occasion d’en discuter avec Thierry Jeantet qui s’est montré très déçu de ce fait. Il a pourtant mené avec son équipe une campagne de publicité dans notre pays, mais sans succès et même avec certaines déconvenues auprès de la Migros. Il est en tout cas très intéressé par des collaborations avec la Suisse, en particulier dans le cadre du projet OIRES puisqu’il y a là une volonté de comparaison internationale dans les recherches. Il faut bien être conscient qu’un des points essentiels de ces collaborations est le financement de projets communs. La collaboration doit donc aussi être concrétisée par des apports financiers suisses. C’est un point essentiel. Il faut venir avec des projets ET de l’argent.

Liens :
Site RMB http://www.rencontres-montblanc.coop


"Il s’agit de la coopérative Val-Eo au Québec."

A propos

Date de parution:
mer, 20.02.2008 - 06:00
Source: 
Kian Rieben
Thématiques: 
ESS
Politique locale/internationale
Politiques publiques/lois
Réseaux
Solidarité internationale/Coopération

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