Con-currencer - un texte inspirant du Galline Felici

Lequel des deux coureurs tend la gourde à l’autre? Le savoir ne nous intéresse pas vraiment. Ce qui compte le plus c’est le geste humain de solidarité envers celui qui court à nos côtés.

L'économie solidaire, une aspiration

"Le modèle économique que nous tentons de construire ensemble, consomACTEURS, n’est certainement pas chose aisée. Ce modèle semble sous nos yeux mais nous sommes en réalité immergés dans beaucoup d’autres valeurs, façonnant insidieusement notre culture et nos actions.

Créer une économie - une culture, une société - plus juste, est notre ambition à nous tous, qui au travers de nos occupations professionnelles et nos vies, essayons de démontrer qu’une autre voie existe et fonctionne (bien!).

Mais la terre qui se trouve sous nos pieds a été traitée trop longtemps à coup d’engrais chimiques et pour nous, grandir de manière équilibré relève du défi.

Il arrive alors que la rareté d’un produit (les avocats par exemple) génère, même au sein de notre cercle, de piètres formes de CONCURRENCE, entre les consommateurs, entre les commerçants, entre les groupes de producteurs, chacun voulant se les accaparer.

 

Et pour nous, au sein du Consortium, qui déclarons haut et fort soutenir le fait que nos concurrents doivent se développer parce que “concurrencer” signifie pour nous “courir ensemble”, il est de notre devoir de se saisir de ces occasions afin de s’interroger sur les implications profondes de ces termes.

Alors, comment “concurrencer” (du latin concurrĕre : “courir ensemble”) sans doubler les autres pour arriver le premier? Comment résister à nos instincts les plus bas, ceux qui nous portent à ignorer les autres pour pouvoir obtenir ce que nous désirons? Comment régir ces pulsions - humaines hélas! - le plus pacifiquement possible, sans créer de perdants et de gagnants?

Concurrencer peut signifier, et a déjà signifié concrètement pour nous, permettre aux autres de parcourir les nouvelles voies que nous avons laborieusement ouvertes, ouvertes à tous, avec l’idée que ces routes soient empruntées par le plus grand nombre, et qu’elle deviennent LA route. Et voilà comment le projet S.I.P (Sbarchi in Piazza - “Débarquement sur les places”) a vu le jour (ici pour approfondir, ).

Concurrencer peut aussi signifier, et a déjà signifié pour nous, être stimulé par une créativité positive qui génère des formes de collaboration innovantes avec tous les autres acteurs, afin de rendre plus abondant un produit qui manquait. Et voici comment les co-productions d’avocats ont vu le jour  (ici pour approfondir).

Mais concurrencer pourrait également signifier piétiner involontairement celui qui court à nos côtés, trop pressés de rejoindre notre destination, et reproduisant les mêmes schémas grossiers de l’économie que nous tentons de combattre. Le bien en faible quantité peut être un sujet de conflit pour qui avance, ou voudrait avancer dans la même direction. Il peut arriver que nous impliquions dans notre démarche des producteurs extérieurs au Consortium que d’autres groupes d’offres auraient également souhaité impliquer. Il peut arriver d’entrer en conflit mais ce n’est absolument pas notre intention d’entrer en guerre avec quiconque.

 

Et alors, comment tendre la main à celui qui peut se sentir blessé par notre démarche? Comment réagir de manière positive aux dynamiques de compétition qui se créent (inévitablement?)? Comment transformer les conflits (inévitables) en stimuli positifs, plutôt que d’alimenter les pulsions “égotisto-belliqueuses”?

Si nous l’affrontons ensemble, cette question pourrait contenir en elle-même la créativité qui nous permettra de faire de nouveau avancer l’économie sociale et solidaire...

 

Et plus encore. Le thème de la concurrence nous amène directement à réfléchir à un autre sujet délicat, très souvent remis sur le tapis par les personnes ayant dirigé le Poulailler ou étant entrées en relation avec ce dernier : la croissance.

Forts de notre expérience, nous avons compris que bien-sûr “ce qui est petit est joli”, mais “être ensemble” c’est encore mieux! Nous sommes tant de petits, qu’ensemble seulement pouvons espérer faire vaciller les “grands” que nous n’aimons pas (la grande distribution par exemple). Tant de petits, qu’ensemble seulement, il est possible d’envisager atteindre des objectifs que, isolés les uns des autres, nous aurions trouvé utopiques. Nous pouvons alors oser et nous projeter dans une économie vraiment circulaire (exemple du projet Succompost (“Jus-Compost”) qu’une ferme seule ne pourrait réussir à mettre en place, alors qu’en étant fédérés, ce projet devient possible, ou au projet FiCoS (Filiera Corta Siciliana), que seul le Consortium a pu soutenir grâce à sa force).

Mais alors, où trouver une limite à la croissance de cette organisation collective?          Bien que fédérés, il est évident que nous ne sommes pas (encore) assez grands pour porter atteinte aux géants. En revanche, nous le sommes déjà trop pour qui “court avec nous” et nous perçoit comme le légendaire gros poisson voulant manger tous les autres. Comment réussir, si nous n’arrivons pas à nous allier, à cesser de nous faire la gue-guerre, nous les petits, qui cherchons tous à aller dans la même direction??

Devons-nous faire machine arrière, au risque de décevoir les attentes des familles qui travaillent avec nous? Devons-nous renoncer à cette place privilégiée, obtenue au prix de tant de travail et d'un effort de connaissance et de confiance réciproques ? Fermer nos portes aux producteurs encore néophytes sur le plan de l’économie sociale et solidaire, qui ne voient dans le Consortium qu’un simple canal commercial?

Ne devrions-nous pas plutôt profiter de notre place privilégiée pour penser concrètement à la possibilité de diffuser les valeurs que nous portons? Et si oui, comment? En élargissant notre démarche? En soutenant les autres jusqu’à ce qu’ils grandissent dans le respect mutuel? Mais, dans ce cas, comment maintenir ou construire la même confiance?

Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné pour l’association Siqillyàh? Et pour le réseau RESSUD? Comment pouvons-nous ré-essayer de construire ce NOUS tant attendu afin de permettre à des réalités se ressemblant de s’allier plutôt que de se faire la guerre?

 

C’est l’éternelle question à laquelle nous n'avons pas encore trouvé de réponse.

Nous voudrions de nouveau essayer de trouver des réponses à ces questions récurrentes avec vous, clients-amis et vous “con-courants”, pour comprendre ensemble quelles seront les prochaines étapes pour surmonter ensemble cette difficulté, et mieux préciser le modèle de l’économie (culturel, sociétal) à laquelle nous aspirons.

 

L’économie solidaire est une aspiration, qui en tant que telle n’est pas encore concrétisée.

Ensemble, une idée d’abord utopique peut alors devenir une réalisation concrète."

 

Texte et image :  Le Galline Felici

 

Partager