Le bonheur est-il dans le pré de l’ESS ? Comment assurer le bien-être au travail des collaboratrices et des collaborateurs de l'ESS ?

24e Café des bonnes pratiques des organisations de l'ESS, 10 novembre 2011

 

Introduction

On lit régulièrement dans les médias que les conditions de travail dans le monde actuel ne cessent de se péjorer : réduction du personnel, accroissement des rythmes, évaluations individuelles de la performance et de la qualité. Ces faits sont attestés par leurs résultats : accroissement des maladies professionnelles, absentéisme, suicides au travail. En va-t-il de même dans les organisations de l’ESS?

En principe, l’adhésion aux valeurs de notre charte devrait nous protéger de ces dérives. Nous favorisons la démocratie interne, la gestion participative, la délégation des responsabilités, la reconnaissance du travail accompli. Si cela est vrai, la satisfaction au travail devrait être plus élevée dans l’ESS qu’ailleurs et on devrait pouvoir le montrer par des taux de maladies ou d’absentéisme inférieurs à la moyenne. L’utilité sociétale de l’entreprise ESS se mesure aussi par le bonheur qu’elle crée pour ses collaborateurs, là même où l’économie marchande créée de la déprime. Cette hypothèse tient-elle la route ? 

Nous avons demandé aux participants d’apporter leurs expériences et réflexions, en se posant notamment les questions suivantes :

  • Qu’en est-il de l’autonomie de chacun et de la délégation des responsabilités dans mon organisation ?
  • Qu’en est-il de la qualité des relations entre les collaborateurs-trices ?
  • La reconnaissance du travail accompli et la perception de l’utilité de ce qu’on fait sont-elles mises en évidence ?
  • Avez-vous des procédures de résolution des conflits entre collaborateurs-trices ?
  • La gestion démocratique et participative fonctionne-t-elle ?

 

Synthèse

Présents 19 personnes représentant 12 entreprises ESS 

L’ESS est-elle un domaine particulier où les salariés et bénévoles sont choyés, reconnus et constamment remerciés, écoutés, bénéficiant d’un perfectionnement continu, d’horaires adaptés à leurs besoins, d’un taux d’occupation librement choisi ? Où l’organisation du travail horizontale, la gestion participative et l’absence de pression (ou à tout le moins une pression raisonnable) au rendement, à la performance entraînent satisfaction et motivation au travail et, par suite, une meilleure santé physique et mentale, se traduisant par des taux d’absentéisme et de rotation du personnel plus faibles que dans les entreprises marchandes classiques ? Bref, un monde où il ferait bon vivre, où l’on serait heureux ?

Eh bien non ! Ou plutôt pas vraiment. Tel est le résultat, quelque peu inattendu, du débat de ce 24e Café. Dès l’entame, la discussion a pris le contrepied du titre proposé et a porté non sur ce qui peut rendre le travailleur heureux mais sur ce qui peut provoquer son malheur. Nommer les facteurs défavorables au bonheur pour être en mesure de les traquer et les combattre. Quels sont-ils :

  1. L’inutilité (et/ou la nocivité) de ce que l’on fait.
  2. La non-maîtrise de ce que l’on fait (être débordé, privé de moyens adéquats).
  3. La non reconnaissance de ce que l’on fait.
  4. Une relation hiérarchique bête et méchante.
  5. Négation de position hiérarchique avec ses non-dits, contentieux cachés, conflits mal ou non résolus.
  6. Mauvaise organisation horizontale, manque de clarté dans la structure et les objectifs, manque de références.
  7. Manque de soutien et d’appuis aux équipes ou aux personnes dans une structure à forte autonomie organisationnelle.

De cette liste non exhaustive, le premier facteur est généralement peu présent dans l’ESS, du moins objectivement. Le côté subjectif se traite facilement (encore faut-il y penser et le faire) si l’encadrement prend la peine de rappeler périodiquement comment l’activité de chacun contribue à la mission de l’entreprise et combien celle-ci est socialement utile.

La non-maîtrise de ce qu’on fait peut survenir plus fréquemment lorsque l’entreprise est financièrement fragile et qu’elle ne peut pas engager du personnel en nombre et qualification suffisant en regard des mandats/commandes qu’elle a acceptés. Refuser des mandats/commandes n’est pas toujours évident pour la direction et, en situation de surcharge, celle-ci devrait au moins négocier avec ses employés avant de prendre une décision (gestion participative). La non-maîtrise peut aussi provenir de l’écart entre le profil de la (des) personne et les tâches à accomplir (stagiaires, EdS, ARE). L’encadrement accru et la formation sur le tas qu’ils requièrent demandent des forces et du temps qui peuvent faire défaut à l’entreprise. Cela entraînera pour ces personnes des situations de stress et de démotivation, dans un emploi qu’elles n’ont pas choisi et qui ne les satisfait pas.

La non reconnaissance de ce que chacun fait dans l’entreprise est un classique trop souvent rencontré. Dans l’ESS, c’est moins souvent le fait d’une volonté consciente de la part de l’encadrement (comme dans l’entreprise marchande où l’on pratique de façon organisée la pression et le harcèlement des subalternes), mais plutôt un oubli, une négligence. Dire merci à un employé permet en même temps l’évaluation informelle de ce qu’il fait, d’ajuster les attentes réciproques, d’entretenir un dialogue fréquent où la critique a une place non-dévalorisante.

Même dans l’organisation la plus horizontale, la hiérarchie existe toujours. Il s’agit de reconnaître ce fait et de l’assumer. Ici encore, l’entreprise ESS semble par nature protégée contre une hiérarchie qui ferait cascader de haut en bas et sans états d’âme des ordres aveugles et inadéquats. En revanche, elle est exposée au danger inverse : le copinage. Dans les petites structures notamment (mais pas seulement ?), des relations d’amitié se nouent, le tutoiement s’impose, le mélange/confusion entre vie professionnelle et vie privée guette. Dans un tel contexte, il est fréquent que l’encadrement nie son rôle hiérarchique, n’ose pas affronter des situations difficiles ou conflictuelles, n’osent pas dire ce qui devrait être dit, ce qui entraîne un comportement symétrique de la part du personnel. Alors s’accumulent les non-dits, les cadavres dans le placard, les conflits non résolus. L’atmosphère s’alourdit progressivement pour conduire, si rien n’est entrepris, à la crise. L’ESS offre donc un terreau où la gestion des conflits et des crises d’autant plus difficile et délicate que les position hiérarchiques sont brouillées et/ou non assumées. C’est la raison pour laquelle, les entreprises ESS devraient y vouer une attention particulière. Selon les cas, l’appel à un superviseur ou à un médiateur est utile.

C’est bien connu, une organisation horizontale à gestion participative est plus délicate à manier qu’une organisation hiérarchique verticale qui demande simplement la soumission des subalternes. L’horizontalité fonctionne par objectifs et une bonne dose d’auto-organisation. Si, dans ce contexte, les cadres de références sont flous, les cahiers des charges sont imprécis, l’employé sera privé des points de repères qui canaliseraient la marge d’initiative qui lui est accordée (demandée), tandis que l’encadrement ne saura plus bien comment gérer la complexité de la structure qu’il a créée. Cela est particulièrement vrai si l’on ajoute la diversité des statuts qui coexistent souvent dans l’entreprise ESS (salariés, stagiaires, EdS, bénévoles, temps partiels variés). Cela demande d’autant plus de vigilance pour clarifier les rôles et les tâches de chacun, préciser les objectifs et les cahiers des charges, suivre l’avancement du travail. Autre difficulté de gestion afférant à l’organisation horizontale pour les entreprises multi-sites ou ayant des groupes d’employés travaillant à l’extérieur et dispersés dans la nature, dont les membres sont sans contacts fréquents avec l’encadrement, ce qui peut les paralyser en cas de difficulté imprévue à résoudre ou les démobiliser par non appartenance ressentie à l’entreprise et non reconnaissance du travail effectué. La présence régulière d’un membre de l’encadrement ou de son délégué formel (responsable de centre ou d’équipe) peut contribuer à résoudre cette difficulté.

Synthèse des bonnes pratiques

  1. Etre attentif à tous les aspects classiques de la gestion du personnel : l’ESS rassemble des groupes humains qui ont les mêmes attentes que dans toute entreprise marchande ordinaire (similitude).
  2. Négocier avec le personnel tout nouveau mandat/commande afin d’ajuster le travail à accomplir aux capacités humaines de l’entreprise.
  3. Reconnaître ce que chacun fait et dire merci. Souvent !
  4. Assumer sa fonction hiérarchique, savoir critiquer à temps et positivement, affronter les conflits, éviter les confusions apportées par le copinage.
  5. Clarifier constamment les rôles, tâches et attentes de chacun. Evaluer en permanence et informellement ce qui se passe et les résultats obtenus. Une organisation horizontale n’est pas un fouillis.

 

A propos

Date de parution:
sam, 12.11.2011 - 16:08
Thématiques: 
Démocratie/gestion participative
ESS

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