Vraiment déloyale la concurrence de l’ESS ?

20ème café des bonnes pratiques, 1er février 2011

Introduction

Avec des introductions de  Michel Pluss, directeur de Trajets et membre du comité d’APRÈS-GE  et Thierry Pellet, secrétaire général d'APRÈS-GE.

 Après déjà un premier Café des bonnes pratiques sur le thème de la concurrence loyale-déloyale (Café no 16 du 2 mars 2010, voir compte-rendu ICI, nous avons proposé de partir du travail réalisé par trois organisations membres, Réalise, Trajets et Pro qui ont rédigé une charte en matière de bonnes pratiques de concurrence de leur point de vue d’entreprises d’insertion. Ce Café a été également l’occasion de découvrir une modélisation permettant de débattre du sujet. Ces deux points de départs ont permis d’appuyer les échanges et réflexions sur l’opportunité de rédiger une telle charte plus largement pour les entreprises de l’ESS.

 Nous avons démandé aux participants d’apporter leurs expériences et réflexions, en se posant notamment les questions suivantes :

  • À quels problèmes de concurrence déloyale avez-vous déjà été confrontés ?
  • Quelles seraient les conditions cadres justes pour assurer une concurrence loyale entre les entreprises de l’ESS et les autres entreprises ?
  • Une charte serait-elle utile pour votre travail ?
  • Faut-il créer une charte propre pour la problématique de la concurrence, ouest-il préférable d’augmenter la charte actuelle d’APRÈS-GE avec un 8e principe ?

 

Synthèse

Présents: 22 personnes représentant 14 entreprises ESS

 

Rappel

  1. Le 16e Café des bonnes pratiques du 2 mars 2010 a traité du même sujet à partir du reproche couramment adressé à l’ESS : vous pratiquez du dumping sur les prix de vos services grâce aux subventions publiques et aux dons que vous recevez. Il s’agit là d’une concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises privées à but lucratif.
  2. Réponse d’APRES-GE
    1. 35% des organisations membres d’Après ne reçoivent aucun soutien financier public ou privé et autofinancent ainsi totalement leur activité.
    2. Les 2/3 restants des membres d’Après reçoivent des subventions parce qu’ils accomplissent des tâches d’utilité publique qui leur ont été déléguées par les collectivités publiques. Ces tâches sont en général non facturables aux usagers, ou partiellement facturables, et n’entraînent donc aucune concurrence sur le marché libre.
    3. Les coûts de production, à tâche égale, sont plus élevés dans l’ESS du fait que nos membres observent des contraintes sociales et environnementales fortes, ce qui est moins le cas, ou pas le cas du tout, des entreprises marchandes à but lucratif.
    4. Plus généralement, chacun convient que, dans l’histoire du capitalisme, la concurrence loyale n’a jamais existé. La règle est celle de la concurrence déloyale et des distorsions de concurrence. Les milieux patronaux qui nous font reproche d’une concurrence déloyale nous font donc un mauvais procès. On peut expliquer ces attaques par le fait que, en cette période de privatisations tous azimuts, les entreprises privées à but lucratif veulent éviter que les marchés du social, de la santé ou de l’éducation (pour ne citer que ceux-là) ne leur échappent et soient accaparés par l’ESS.

 

Discussion

Michel Pluss (Trajets) présente la charte des bonnes pratiques économique que trois entreprises sociales d’insertion par l’économique (ESIE), membres d’APRÈS-GE, ont mis au point pour répondre au reproche de concurrence déloyale que les entreprises du privé leur adressent. Cette charte s’articule autour des principes suivants :

  1. Les ESIE n’agissent pas sur le marché du travail principal, mais sur le marché complémentaire (pas de concurrence). Note : cet argument est spécifique aux entreprises d’insertion.
  2. Elles pratiquent pour les produits qu’elles vendent les prix du marché (pas de dumping).
  3. Elles respectent les contraintes légales, sociales et écologiques
  4. Elles doivent, dans leur mission de réinsertion, assurer des tâches de formation et d’accompagnement de personnes en difficulté (morale, sociale, physique, psychique). Les subventions qu’elles reçoivent servent à couvrir ces coûts spécifiques.

 

Un des buts de cette charte est de nouer un dialogue constructif avec les PME de la région en leur montrant que les ESIE leur sont complémentaires et non pas concurrentes. La vraie concurrence vient plutôt des grandes entreprises multinationales qui cherchent à conquérir le marché régional et qui, dans ce but, pratiquent de vraies distorsions de concurrence, notamment le dumping sur les prix.

Thierry Pellet (APRÈS-GE) propose, afin de clarifier le débat, un schéma à deux axes (axe 1 = rentabilité de l’activité ; axe 2 = activité visant la satisfaction du bien-être collectif ou individuel) qui permet de situer chaque entreprise graphiquement. Ce schéma permet de visualiser les zones où pourrait se situer une concurrence entre l’ESS et le secteur privé lucratif.

Le débat qui suit est nourri. Il est relevé notamment que :

  1. La concurrence existe aussi entre entreprises de l’ESS œuvrant sur les mêmes segments de marché, et cette concurrence peut subir des distorsions importantes. C’est par exemple le cas lorsque deux entreprises s’affrontent, l’une étant une association et l’autre une SA. Il apparaît que l’association jouit vis-à-vis de la SA (étant bien précisé que cette dernière fait partie de l’ESS et observe la Charte d’APRES) de conditions préférentielles (loyer des locaux commerciaux, accès aux subventions et aux dons, accès au bénévolat, plus généralement image publique positive) qui l’avantagent nettement dans l’attribution de contrats. Ces avantages pourraient même permettre de pratiquer des prix inférieurs. Cette réalité peut, à terme, conduire à la disparition des SA dans l’ESS, toutes les entreprises ayant avantage à choisir le statut d’association.
  2. Plusieurs membres d’APRES confirment rencontrer dans leur domaine d’activité la concurrence déloyale d’entreprises multinationales lesquelles, vu leur surface financière, peuvent pratiquer sans douleur un dumping agressif sur les prix.
  3. Les secteurs d’activités des biens et services d’intérêt collectif (infrastructures, transports, énergies, social, santé, éducation) subissent une mutation profonde : anciennement gérés et produits par les collectivités publiques, ils sont aujourd’hui mis sur le marché libre et concurrentiel, ce qui équivaut à leur privatisation et devient source de profits. Cela ne se justifie pas, même d’un stricte point-de-vue économique. On constate que les baisses de prix proposées par les entreprises privées (cela n’est même pas toujours le cas) sont souvent effacées par la péjoration des conditions salariales ou des impacts sociaux et environnementaux négatifs. Cette tendance se confirme lorsque les collectivités publiques sont gérées selon les règles du court terme du néolibéralisme. Si l’ESS entend inverser la tendance, elle doit ici mener un combat politique d’envergure, car c’est notamment le politique qui régit tous ces marchés.
  4. L'ESS peut/doit revendiquer la légitimité de l'avantage concurrentiel lié aux aspects éthiques et durables de ses activités (on préfèrera une entreprise ESS à une entreprise classique à prestations égales). C'est là le moteur du changement pour que l'ESS s'étende sur les marchés.
  5. La transparence comptable et financière des entreprises de l’ESS est un atout unique qui n’a pas son équivalent chez les entreprises privées. Avec les moyens de la comptabilité analytique, il devrait être possible de mettre en évidence les surcoûts propres aux entreprises de l’ESS (observation des critères de la Charte, formation, promotion et accompagnement du personnel). De même pourrait apparaître que les subventions reçues servent à financer ces surcoûts ainsi que les prestations non facturables, notamment celle liées à l’intérêt collectif ou public. Les résultats financiers ainsi présentés devraient être d’accès public, sur le site internet de chaque membre d’APRES.
  6. S’agissant des biens et services de première nécessité, il s’avère que leur privatisation progressive en prive l’accès aux franges défavorisées de la population. Les entreprises de l’ESS sont ici fondées à pratiquer des prix inférieurs à ceux du marché pour des raisons de justice sociale. Un exemple parmi d’autres : transport des personnes malades ou handicapées.
  7. La démocratie interne et externe constitue un autre avantage décisif de l’ESS sur l’économie privée à but lucratif. Travailler dans une entreprise se réclamant du bien-être collectif et participer à sa gestion prépare à participer aux structures démocratiques sociales. Les valeurs démocratiques revendiquées par l’ESS ont un prix non monétaire mais social de la plus haute importance, qu’il s’agit de toujours mettre et remettre en évidence.
  8. Il serait utile pour tous les membres qu’APRÈS-GE construise un argumentaire au sujet de la prétendue concurrence déloyale exercée par les entreprises de l’ESS à l’endroit des entreprises privées à but lucratif : démonter les arguments de ces dernières, montrer qu’il s’agit d’un problème mal posé, montrer les avantages économiques, sociaux et moraux des activités développées par les entreprises de l’ESS.

 

Quelques éléments et principes identifiés qui pourraient servir de base à un argumentaire

  1. Pas de dumping sur les prix : les organisations de l’ESS ne profitent pas d’avantages indirects pour casser les prix ;
  2. Transparence sur les avantages indirects : les entreprises de l’ESS rendent visibles dans leur comptabilité ou dans leur rapport annuel les avantages indirects dont elles bénéficieraient par leur statut (à but non lucratif ou à lucrativité limitée) ou leur secteur d’activités : avantage en nature (rabais de loyer, autre?), soutiens financiers publics, travail bénévole, autre ?) ;
  3. Construire des alliances entre PME locales et ESS face au pouvoir des entreprises multinationales.
  4. Valoriser les effets sociaux et environnementaux non inclus dans les prix pratiqués par les entreprises de l'ESS (externalités positives).
  5. Dénoncer les associations prétextes (dont les activités ne sont pas conformes aux buts idéaux prévus dans les statuts).
  6. Les secteurs traditionnellement identifiés d'intérêt public, comme le logement, la santé, l’éducation, le social devraient faire l'objet d'un débat spécifique pour identifier la manière de tisser des liens privilégiés avec l’ESS.

 



 



 

 

 

 

A propos

Date de parution:
mar, 01.02.2011 - 13:07
Thématiques: 
Concurrence

Partager